L’artiste Lionel Sabatté : de la grotte de Bédeilhac à Orchard Road !

Marie-Ségolène Migairou, Le Petit Journal Singapour, 2020年1月15日

 

L’artiste Lionel Sabatté a inauguré dimanche le programme Art Encounter, une nouvelle initiative de la cité-Etat visant à promouvoir l’art contemporain en permettant au public d’assister à l’étape de création d’une œuvre. Pour cela, trois conteneurs d'expédition ont été réaménagés en atelier et galerie mobiles dans lesquels sont invités des artistes. Lepetitjournal.com a eu la chance de rencontrer ce magicien de la matière qui réinvente, repense, déconstruit et sublime les matériaux aussi nobles qu’ordinaires. Du bronze à la poussière, en passant par le thé ou le ciment, cet artiste aussi passionné que passionnant nous raconte son projet de création in situ au cœur de Singapour, sur Orchard Road.

 

Pouvez-vous nous raconter comment est né le projet que vous êtes en train de réaliser ?

Je suis de plus en plus attiré par la création in situ, une démarche artistique qui consiste à créer en fonction d’un lieu, d’un espace. Une technique que j’apprécie beaucoup car elle permet de donner à mes œuvres une empreinte du lieu, de l’ambiance en m’apportant énormément sur le processus de création.

 

De ce fait, lors de mon séjour à Singapour l’an dernier pour l’inauguration de ma première exposition réalisée chez Cuturi Gallery, j’ai été fasciné par le côté cosmopolite, vivant et le design futuriste de la ville aux antipodes de l’univers dans lequel que je travaille habituellement. Tout de suite, m’est venu l’envie de l’associer à un projet de création que j’allais initier dans la grotte de Bédeilhac, en Ariège. L’envie de créer un contraste entre le côté futuriste d’un lieu et une créature très archaïque me semblait intéressant.

 

J’ai alors échangé au sujet de cette envie avec Kevin Cuturi, le fondateur de la galerie, qui à son tour en a discuté avec l’équipe de Art Outreach et c’est ainsi que s’est concrétisé le projet Art Encounter. Parmi les six créations composant cette œuvre, les trois réalisées durant ces cinq jours seront d’abord exposées quelque temps sur Orchard puis ensuite en itinérance dans la cité-Etat, et trois autres seront exposées dès vendredi matin à Cuturi gallery.

 

 

Quelle est l’idée que vous souhaitez communiquer à travers cette œuvre ?

L’idée était de créer un lien entre ces deux lieux si différents où tout s’oppose et ce paradoxe de la vie des hommes dans des conditions si différentes.

 

On commence dans la grotte de Bédeilhac, située en Ariège dans l’un des départements les moins peuplés de France, dans un monde souterrain, froid évoquant un temps très lointain de l’ère glaciaire d’il y a 17 000 ans. A cette époque, les dessins étaient faits dans une atmosphère extrêmement rude avec des températures avoisinant les moins trente degrés par des êtres humains très différents, les chasseurs-cueilleurs, qui étaient des personnes très imposantes, très grandes, des sortes de surhommes dotés d’une une force physique et d’une intelligence incroyable pour pouvoir survivre en groupe de 15 personnes dans des conditions si dures et si exigeantes.

 

On finit sur Orchard Road à Singapour, dans une cité-Etat et île très futuriste, sur une avenue très colorée au milieu des immeubles et des gens qui passent avec des sacs de shopping. Un lieu plein de monde, où l’on palpe une douceur, une chaleur très agréable et où l’on sent très fortement que la végétation luxuriante pourrait reprendre le dessus à une vitesse folle. C’est un endroit très intéressant pour ça et j’adore ce bouillonnement dans lequel tout est prêt à éclore.

 

Qu’avez-vous choisi de représenter comme animal dans cette œuvre et pourquoi ?

A l’initiation du projet de Bédeilhac, j’ai choisi par rapport au site, en allant visiter la grotte et en fonction de mes ressentis en me promenant dans les différents endroits.

En entrant dans ce lieu, il y a un grand espace, une sorte de grande cavité où j’ai tout de suite eu envie, à cet endroit précis, de faire des humains, un peu comme pour rendre hommage aux hommes ayant habité ce lieu et dont les dessins sont toujours présents. C’était aussi pour moi une façon de leur demander une autorisation pour faire à mon tour des choses dans la grotte. Ensuite, en arrivant au fond de la grotte, j’ai immédiatement imaginé une bête à corne de type bouc très imposant, féroce et j’ai d’ailleurs appris par la suite que dans les dessins préhistoriques présents dans la grotte, il y avait aussi un bouc ! Quand le projet s’est concrétisé ici, je me suis dit que j’allais faire une continuité de Bédeilhac ; c’est-à-dire créer les descendants de ce bouc qui est encore aujourd’hui au fond de cette grotte à 400 mètres de profondeurs en face d’une stalagmite, en lui faisant une famille de descendants ici aujourd’hui ! Faire des bêtes archaïques, provenant de l’art pariétal dans ce contexte, je trouvais ça intéressant.

 

 

Dans votre œuvre, vous accordez énormément d’importance aux matériaux. Quels sont ceux choisis pour réaliser cette œuvre et pourquoi ?

Pour cette œuvre, j’ai choisi d’utiliser les matériaux de construction de la ville et des bâtiments qui nous entourent : du ciment, du fer à béton, des bétons armés. J’aime utiliser le même matériau que l’environnement autour et le mettre en valeur afin de permettre aux gens de le voir d’une manière très différente, à la fois minéral et animal. J’aime ce contraste.

 

Pour l’aspect, le ciment est teinté avec des pigments à ciments classiques qui ne sont pas exactement les mêmes que ceux utilisés pour Bédeilhac car ils varient en fonction des endroits où ils sont extraits. Aussi, pour obtenir des temps de séchage qui correspondent à ma sculpture, je fais des mélanges de ciments en m’adaptant en permanence aux variations des couleurs de l’un à l’autre. Chaque mélange de ciment est teinté dans la masse.

 

Lors de l’élaboration, j’applique au fur et à mesure des petits volumes de ciment. C’est dans le lieu et sur le moment que je choisis les couleurs et le geste de sculpture. Jusque-là, je n’avais jamais réalisé de sculpture avec ce type de geste de façon très rempli, ni utilisé ces dégradés de couleurs, cet effet fondu. C’est tout cela qui rend ces créations si particulières, si liées à l’endroit et aux éléments extérieurs m’influençant même parfois de manière inconsciente.

 

Etant limité à cinq jours pour la réalisation de ce projet, c’est une sorte de course contre la montre souhaitée. Ce temps est à la fois court et pertinent car il fait partie du plaisir à faire ce type d’expérience et permet aux sculptures réalisées de garder leur brutalité et caractère brut.

 

Depuis le 12 janvier, vous créez depuis un container vitré sur Orchard Road, l’artère la plus commerçante de Singapour, quelles sont les sensations que cela vous procure et quelles sont les différences avec votre expérience dans la grotte ?

C’est très étrange, je ne m’attendais pas à ça et j’avoue avoir été très impressionné au début lors de mon arrivée dimanche matin pour l’ouverture. Au fur et à mesure de l’avancée de l’expérience, j’ai l’impression de devenir partie intégrante de l’espace public. Cela me rappelle mes expériences de recruteurs de rue pour des associations, missions que je faisais étant étudiant, où une partie des gens venait à moi pour se confier comme si le seul fait de passer du temps dans la rue, sans le statut de passant, induisait un rapport à l’autre particulier.

 

Ce sont deux mondes complètement différents mais pour moi, c’est la même intensité : dans la grotte ça faisait peur, c’était très effrayant avec une peur qui nourrit et autant. Là, c’est autre chose : je n’ai pas peur mais j’ai une tension du fait d’être regardé, d’avoir un temps imparti et d’être dans une situation où j’ai presque l’impression que l’animal c’est autant moi que le bouc.

 

En même temps, ça m’apprend beaucoup d’être là et ce sont souvent des situations où le travail, la sculpture m’apaise et me libère des tensions et des peurs. Des moments où je suis tellement concentré dans mon travail que j’en viens à oublier le lieu, des moments qui me permettent de ressentir très profondément ce que j’aime et ce que je cherche dans la pratique de faire de l’art.

 

 

Vous êtes un artiste complet travaillant aussi bien la sculpture, la peinture et le dessin. Choisissez-vous le support utilisé en fonction du thème ou est-ce le thème qui vous dirige vers le support ?

C’est dur à dire, cela dépend beaucoup du contexte, il n’y a pas de règle. Initialement à la constitution de mon œuvre, étant naturellement attiré par les matériaux, j’ai davantage axé mes travaux initiaux sur la sculpture. Et puis peu à peu, j’ai aussi trouvé très intéressant le rapport avec la matière dans la peinture en ayant une réflexion sur la peinture en soi, le matériel qui la compose afin de le mettre en valeur dans la peinture elle-même.

 

Aujourd’hui, mon œuvre s’est ramifiée grâce à la base de travail assez large et installée qui la compose :  il est beaucoup plus fluide pour moi de passer de l’un à l’autre. Mes projets sont des réactions à des lieux, à des choses extérieures. En ce moment, je fais beaucoup de recherches avec le bronze qui est un matériel à la fois noble mais aussi très classique dans l’art. Je l’utilise d’une manière particulière notamment en peinture, la série a débuté avec une série d’oiseaux en peinture auxquels j’ai voulu donner davantage de relief, de perspective, ce qui m’a amené à la création d’une série d’oiseaux sculptés en bronze.

 

Avez-vous d’autres projets en Asie ?

Oui, j’ai beaucoup travaillé en Chine avec la fondation YISHU8. Ma première collaboration remonte à 2011 dans le cadre d’un programme d’échange entre la France et la Chine permettant à des artistes français d’être accueillis en résidence en Chine et à des artistes chinois en France. J’ai été le premier résident dans le fantastique cadre de l’ancienne Université franco-chinoise de Pékin. C’était une très belle expérience et j’ai eu l’occasion d’y retourner en 2015 pour créer mes premières pièces en thé. A cette occasion, Laurent Fabius, Ministre des Affaires étrangères et du Développement international à cette époque, a offert une de mes pièces, un bouc en thé, au premier ministre chinois ce qui a permis une mise en avant médiatique de mon travail dans ce pays.

 

J’ai eu l’occasion d’exposer aussi en Corée et maintenant, grâce à ma représentation avec Cuturi Gallery, je suis présent à Singapour.

 

Quelles seront vos prochaines expositions ?

Mes deux prochaines expos seront aux Etats-Unis. La première, en février, se déroulera dans la galerie Backspace à Los Angeles : intitulée « Jungle », elle se déroulera dans un environnement naturel reconstitué au milieu de palmiers, mettant en scène mes bêtes dans leur phase initiale de leur processus de création, exposant ainsi leur structure en fer à béton brute, nue. Une partie de cette œuvre sera réalisée sur place.

 

Aussi, en mai 2020 dans la galerie Ceysson & Bénétière à New-York, j’exposerai une série de sculptures de figures humaines dans laquelle j’ai joué en repensant les procédés d’oxydation.

 

Des envies, des idées pour le futur ?

Créer in situ est une expérience que je trouve extrêmement intéressante, enrichissante car elle me permet d’explorer et de prendre en compte des éléments nouveaux lors du processus de création qui sont liés directement à l’environnement mais aussi aux émotions que cela me procure. Lors de mon projet dans la grotte de Bédeilhac, créer « une bête » au fond d’une grotte avec comme unique lumière, une frontale était une expérience assez effrayante du fait de l’ambiance occasionnée par les bruits, les courants d’air, l’obscurité et la vie souterraine. Cela a réveillé en moi une sensibilité certaine, identifiable dans cette œuvre. Avec ce projet d’Art Encounter, créer dans une boite en verre au milieu de la foule d’Orchard Road, en ayant l’étrange sensation d’être autant bête que la bête en création, me donne un regard différent sur la création en cours tout de suite visible dans les pigments et ma façon de poser le ciment.

 

Dans cette lignée, étant acrophobe, je rêverais de pouvoir réaliser une œuvre au sommet d’un immeuble, pourquoi pas à Singapour, envahit par le sentiment dérangeant de vertige. Cela me passionnerait d’aller me confronter au vide et d’arriver à ce moment où, tellement concentré dans l’œuvre, la peur nous quitte.

A bon entendeur !

 

Pour découvrir des œuvres de Lionel Sabatté :

Cuturi Gallery , 9 Scotts Road, Pacific Plaza, #02-16, Singapore 228210

Art Encounters Container, sur orchard Road, devant le Takashimaya :

Observez-le travailler jusqu’à 19h le jeudi 16 janvier 2020

Visitez la galerie mobile, jusqu’au 2 février 2020

 

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